L’Holodomor : une famine orchestrée en Ukraine soviétique

Deux soldat soviétiques dans un champs réquisitionnant des sacs de céréales auprès des paysans aisés (koulaks), en 1933
Deux soldat soviétiques dans un champs réquisitionnant des sacs de céréales auprès des paysans aisés (koulaks), en 1933
La réquisition de céréales auprès des paysans aisés (koulaks) pendant la collectivisation forcée dans le district de Timachovski, en Union soviétique (Kouban), en 1933

Source : Wikimedia Commons, U. Druzhelubov.
Photo : Proletarskoe Foto.

Entre 1932 et 1933, des millions d’Ukrainiennes et d’Ukrainiens ont perdu la vie dans une famine qu’ont provoquée les politiques du régime soviétique dirigé par Joseph Staline. Aujourd’hui reconnu comme un génocide par plusieurs pays, dont le Canada, l’Holodomor soulève des questions sur le rôle des régimes totalitaires, la désinformation et la justice historique.

L’Holodomor (de l’ukrainien « mort par la faim ») désigne la famine orchestrée en Ukraine soviétique entre 1932 et 1933.

Décret du Politburo du Comité central du Parti communiste (bolchevik) d’Ukraine concernant la collecte urgente de toutes les ressources disponibles dans les fermes collectives
29 décembre 1932 — TsDAGO. — Fonds 1. — Inventaire 6. —
Dossier 238. — Feuille 182

Transcription :
Lettre du Comité central du Parti communiste (bolchevik) d’Ukraine aux comités de parti des oblasts et des raïons concernant la collecte de toutes les réserves disponibles pour les livraisons de céréales 29 décembre 1932.

Les travailleurs des raïons n’ont pas encore compris que la priorité absolue pour la collecte de céréales dans les kolkhozes (fermes collectives) qui n’ont pas rempli leur devoir envers l’État est la remise de toutes les semences disponibles, y compris les soi-disant réserves de semences, pour atteindre les objectifs du plan de livraison de céréales.

Ainsi, le Comité central du Parti communiste (bolchevik) de l’Union soviétique (CC AUCP(b)) a annulé la décision du CC CP(b)U du 18 novembre concernant la non-expédition des réserves de semences, décision qui avait affaibli notre position dans la lutte pour les céréales.

Le CC CP(b)U ordonne que tous les kolkhozes n’ayant pas rempli le plan de livraison de céréales remettent immédiatement toutes les réserves disponibles, y compris les semences dites de semis, dans un délai de cinq à six jours, pour satisfaire au plan.

À cette fin, le Comité central ordonne la mobilisation immédiate de tous les moyens de transport, y compris les animaux de trait, les automobiles et les tracteurs. Dans un délai d’un jour, des ordres doivent être donnés pour assurer quotidiennement le nombre nécessaire de chevaux, y compris ceux des paysans individuels.

Tout retard dans l’envoi des réserves sera considéré par le Comité central comme un sabotage de la collecte de céréales par les dirigeants des raïons, et fera l’objet de mesures appropriées.

Secrétaire du CC CP(b)U,
S. Kosior

TsDAHO Ukraine, fonds I, liste 6, dossier 238, feuille 182; 1, p. 300-301; 5, p. 611.

Le génocide est défini par l’Organisation des Nations unies comme un « acte commis dans l’intention de détruire, en tout ou en partie, un groupe national, ethnique, racial ou religieux ».

Un contexte marqué par la répression soviétique

Dans les années 1930, l’Ukraine était une république clé de l’Union soviétique, notamment en raison de ses terres agricoles fertiles. Toutefois, son identité nationale et son aspiration à une certaine autonomie inquiétaient Staline, qui voyait dans tout mouvement indépendantiste une menace à son pouvoir centralisé.

Pour renforcer son emprise sur la région, le dirigeant soviétique imposa, en 1929, la collectivisation des terres agricoles, abolissant la propriété privée au profit de fermes contrôlées par l’État. Il lança parallèlement une campagne de répression contre les koulaks, paysans accusés de s’opposer aux réformes communistes, en les déportant par milliers vers des camps de travail en Sibérie. Ces politiques eurent des conséquences désastreuses sur la production agricole, mais loin d’assouplir les mesures en place, le régime soviétique les durcit.

Carte des pourcentages des pertes de la population rurale, en 1993, par oblast (région administrative) en Ukraine
1932-1934
L’Holodomor
16 %
de mort de la population rurale décédée/tuée
Source : Lubomyr Luciuk (tiré du dépliant Holodomor The genocidal Great Famine of 1932-1933 in Soviet Ukraine).
« Des paysans affamés quittent le village à la recherche de nourriture en ville »

Photo provenant de la collection du cardinal Theodor Innitzer (Archives du diocèse de Vienne). Photo prise par l’ingénieur A. Wienerberger. Documents photographiques fournis par le professeur Vasyl Marochko (Institut d’histoire de l’Ukraine, Académie nationale des sciences d’Ukraine). — Archives centrales d’État des documents photographiques et cinématographiques de l’Ukraine, du nom de H.S. Pshenychnyi. Coll. n° 5134.

Source : Holodomor Museum, avec la permission de Samara Pearce.

Une famine provoquée par des décisions politiques

Entre 1932 et 1933, des politiques répressives vinrent aggraver la crise agricole déjà en cours. Le gouvernement soviétique ordonna la confiscation totale des céréales, même dans les villages où la population mourait de faim. Des brigades de l’État fouillaient les maisons afin de s’assurer que les habitants ne gardaient aucune réserve de nourriture.

Pour empêcher toute tentative de fuite, les frontières des régions touchées furent bloquées et des peines sévères, incluant la déportation en Sibérie ou l’exécution, furent appliquées à ceux qui tentaient de s’opposer aux ordres du régime.

Cette politique eut des conséquences dévastatrices. Privées de nourriture, des familles entières moururent de faim, tandis que, dans certaines régions, des survivants furent réduits à manger de l’herbe ou des racines. Rhea Clyman, une journaliste canadienne qui s’est rendue en Ukraine en 1933, témoigna :

« Nous n’avons pas de pain… Nous n’avons rien à manger. Nos enfants mangeaient de l’herbe au printemps… Il n’y avait rien d’autre pour eux. »

Source : Toronto Telegraph, 1933.